six jours, six réflexions avant d’aller voter sur la grève générale illimitée pour la rémunération de tous les stages
Obtenir le droit au salaire
Pour celles et ceux qui suivent la campagne depuis longtemps, la différence entre la rémunération des stages et la compensation des stages est maintenant un sujet maîtrisé. Pour celles et ceux qui ne seraient toujours pas certains et certaines de connaître la différence, voici une explication pour vous.
Le terme rémunération est associé à la reconnaissance du statut de travailleurs et travailleuses salariés.es par le droit civil (voir Livre V, Titre deuxième, Chapitre VII, article 2085), et donc à la création d’une obligation de paiement du salaire par l’employeur. Ainsi, la rémunération, quoi qu’en disent la Fédération étudiante du Québec (FECQ), l’Union étudiante du Québec (UEQ) et Jean-François Roberge, ministre responsable du ministère de l’éducation supérieur, c’est d’abord et avant tout la création d’un droit : le droit à un salaire.
Ainsi, s’il advenait que lors de la prestation de travail durant un stage, l’étudiant.e travailleur.euse et stagiaire ne reçoive pas les sommes dues pour les heures de travail effectuées, l’employeur fautif pourrait être poursuivi pour vol de salaire (Wage Theft).
La compensation, au contraire, ne crée pas d’obligation de paiement au salaire, ne reconnaît pas non plus un statut de travailleur/ travailleuse, mais s’appuie sur le statut d’étudiant.e. Un statut qui ne crée aucun droit à une forme quelconque de rémunération. Par cette absence, la compensation apparaît comme une “récompense”, sujette aux caprices politiques et budgétaires du gouvernement.
Si le gouvernement décidait de supprimer les compensations, en coupant par exemple l’Aide financière aux études (AFE), nul recours ne s’offrirait aux stagiaires pour récupérer les sommes dues pour les heures travaillées. Cette absence de droit à un paiement, c’est ce que sont en train de vivre les doctorantes en psychologie de l’Université de Sherbrooke, qui, bien qu’elles aient obtenu une compensation pour leur internat final, se retrouvent à vivre un tirage au sort pour savoir lesquelles d’entre-elles devront effectuer du travail gratuit tout au long de leur internat.
Cérdit photo : Mis Iz, photo prise lors de la manifestation du 8 mars 2018
Pourquoi une grève générale illimitée?
Outre l’aspect de la libération du temps pour s’organiser en collectivité et créer des espaces de réflexion; la grève est aussi et surtout un moyen d’action collectif et politique choisi par une collectivité pour revendiquer des changements politiques. Plusieurs voies sont possibles pour arriver à un but politique, il nous semble pertinent de revenir sur deux de ces choix et d’expliquer pourquoi la grève générale illimitée est le modèle privilégié pour les étudiant.es et les stagiaires.
Certaines collectivités qui possèdent déjà un certain capital social et/ou économique, voire une reconnaissance comme interlocuteur crédible, adressent en général leur problématique en passant par la concertation sociale : inviter l’attaché du ministre à nous rencontrer, discuter des problématiques, négocier un output. C’est le cas par exemple des associations d’employeurs, comme le Conseil du patronat du Québec, ou de propriétaires comme la CORPIQ. Dans le mouvement étudiant, les associations nationales comme la FECQ et la UEQ font aussi partie de cette mouvance.
Pour d’autres collectivités, cette approche “concertationniste d’abord” est difficile, voire impossible, puisqu’elles ne sont pas considérées comme des interlocutrices, ou comme une collectivité dont il faudrait se soucier. C’est le cas pour les stagiaires non-rémunéré.e.s: cette collectivité, majoritairement de genre féminin, furent ignorées par le gouvernement, voire même par le mouvement étudiant, jusqu’à ce qu’elle commencent à se réunir et à se mobiliser. Ainsi, pour bâtir un rapport de force lui permettant de porter leurs voix aux oreilles du législateur, les stagiaires n’ont d’autre choix que de mobiliser des modes d’action directe: manifestations, perturbations de certains événements, multiplication des prises de paroles publiques et dénonciations, interventions dans les milieux de stages, etc.
Ultimement, l’accumulation de ces prises d’actions amènent les autorités à observer le phénomène, mais pour que les autorités cessent d’observer et agissent, le seul ressort est une perturbation perceptible du quotidien : l’arrêt total des activités de travail et des activités académiques des stagiaires étudiant.e.s.
Cet arrêt total les rend alors perceptibles aux yeux des autorités publiques et, puisque ces dernières auront comme réflexe de ramener la paix sociale avant que des impacts économiques et politiques de l’arrêt de travail des stagiaires et de la grève des activités académiques ne soient ressentis, elles seront plus propices à s’asseoir avec la collectivité des stagiaires et d’étudiant.e.s. Cette conjoncture donne alors à la collectivité en lutte de meilleures chances d’obtenir des gains concrets puisque le rapport de force construit permet de rééquilibrer le rapport de négociation entre la collectivité et les autorités publiques.
Crédit image : Cute Campagne sur le travail étudiante, photos des mobilisations régionale du 21 novembre 2018
“La grève, la grève, c’pas une raison pour manquer mes cours !”
On assume souvent que les personnes membres de la même association étudiante que nous qui s’opposent à la grève – parfois ouvertement, mais souvent silencieusement – sont “réactionnaires” et/ou “individualistes”. Pourtant, à travers l’expérience des grèves passées, nous constatons que nos collègues qui sont effectivement fondamentalement et politiquement réactionnaires et individualistes sont minoritaires. Ce qui drive par conséquent le repli vers le statu quo, de celles et ceux qui n’appartiennent pas à ces tendances politiques, est souvent dû aux craintes des conséquences découlant de la grève.
Crainte 1 : Une grève générale illimitée signifie une éducation de moindre qualité.
Cette crainte, bien que légitime, relève surtout d’une méconnaissance des instances universitaires qui valident les acquis des cours, l’organisation des plans de cours et du calendrier scolaire. En effet, à chaque grève, généralement après 3 semaines de levée de cours, la Commission des Études (CÉ) de l’UQAM constituée de 14 représentant.e.s, dont 7 étudiant.e.s, se réunit pour décider du mode de validation de la session : extension du calendrier scolaire, extension des plages horaires, réouverture des ententes d’évaluation, modification des règles concernant le pointage des travaux et examens, possibilité de tenir des cours par visioconférence, allongement de la période de remise de note, etc. Il s’agit d’alternatives que la CÉ considère suffisantes afin d’assurer une qualité d’éducation et l’acquisition des acquis.
Crainte 2 : La grève va retarder mon admission au barreau.
La crainte de ne pouvoir entrer à l’école du barreau aux dates prévues en est une parfaitement légitime pour l’étudiant.e en droit souhaitant devenir avocat.e. Dans le contexte actuel, il est cependant bien peu probable qu’une grève générale illimitée dure assez longtemps pour en arriver à un scénario de reprise des cours en septembre ou à une annulation de la session d’été (comme en 2012). Les grèves passées, notamment à l’UQAM, ont toujours favorisé la complétude des trois trimestres, seule celle de 2012 fut une exception, et ce fut en dehors du contrôle de l’UQAM puisque c’est la Loi 12 qui, en mai 2012, avait sanctionné un nouveau calendrier et mis les étudiant.e.s en lock-out jusqu’au mois d’ août. De plus, l’école du Barreau avait alors eu une certaine ouverture pour les étudiants.es dont la session d’hiver n’était pas fini en août de la même année.
Dans le contexte actuel, où le gouvernement caquiste est déjà en mode de concertation, il est bien peu probable que la grève soit aussi longue avant qu’il y ait gain de cause.
Crainte 3 : Les pertes financières liées à la durée de la grève.
Liée aux deux premières craintes, l’idée qu’il serait possible de “perdre une session” et de payer des frais de scolarité en surplus est de manière assez générale non fondée. Une session en cours ne fut jamais annulée pour cause de grève. Les sessions touchées font, de manière générale, l’objet d’une extension directement sur le calendrier scolaire pour assurer la diplomation et éviter les chevauchements de sessions universitaires.
Cependant, certaines craintes de répercussions financières sont valides et peuvent être adressées collectivement: la fin des versements d’aide financière lorsque la session universitaire est “théoriquement” terminée*, mais que la grève est toujours en cours. En 2012, les étudiant.e.s avaient formé des comités de support mutuel pour aider les étudiant.e.s comme celui pour les étudiant.e.s parent.s, qui ne pouvaient recevoir l’aide financière de la session d’été à cause de la Loi 12. D’autres efforts avaient été faits pour soutenir les étudiant.e.s les plus précaires des conséquences de la grève: création de repas collectifs, friperie de vêtement, etc.
Si vous craignez les répercussions de la grève sur votre situation financière et familiale, n’hésitez pas à adresser vos craintes lors des assemblées, des conseils de grèves, aux comités de mobilisation ou directement à l’exécutif. Beaucoup de choses peuvent être faites pour soulager collectivement des problématiques systémiques.
*Attention : l’AFE maintient ses versements tel que prévu durant la session où vous êtes admissible, et ce même si vous êtes en grève. Cependant, elle cesse au moment où la session devait se terminer puisque toute l’aide prévue vous a été versée.
D’autres craintes ? N’hésitez pas à nous écrire sur la page Facebook, nous pourrons offrir une réponse publique à la question !
Défoncer une porte ouverte ?
En novembre dernier, lors de la grève d’une semaine (de trois jours pour l’AFESPED), le ministre nous demandait de retourner en classe puisqu’il travaillait déjà sur la question et que rien ne servait de défoncer une porte déjà “ouverte”. Cette rhétorique du “laissez-nous travailler” est, depuis, couramment verbalisée par le ministre. Qu’en est-il vraiment ?
Oui, le ministre est effectivement au travail concernant la question des stages, mais dans quelle perspective ? Tout porte à croire, autant par ses apparitions publiques que par les documents qu’il a fournis au comité de liaison des coalitions en décembre, et les rencontres de travail qu’il a spécifiquement avec les fédérations étudiantes, que si le ministre étudie effectivement la question des stages, c’est sur leur compensation qu’il est en train de travailler. Si vous avez lu l’épisode 1 de nos six réflexions quotidiennes, vous comprendrez que le ministre est donc loin d’être véritablement au travail sur notre revendication : la rémunération.
Le seul travail qu’il effectue vise essentiellement à assurer l’absence de mobilisation collective ayant un impact économique pendant qu’il prétend être attentif à nos demandes. Dans un tel contexte, seule une grève générale illimitée est en mesure d’ouvrir les yeux du ministre sur ce que devrait être son choix politique sur la question des stages : la rémunération ou le conflit social.
On se doit aussi d’ajouter que pour qu’un tel travail sur les stages reste effectivement dans l’agenda du ministre, lui rappeler la présence de stagiaires et étudiants.es non-stagiaires mobilisé.es, prêt.es à arrêter leur prestation de travail, est essentielle. Comme le dit le proverbe : loin des yeux, loin du coeur !
L’éducation par la grève
Rien ne sert de nier, nous savons nous aussi que la grève implique que certaines activités pédagogiques initialement prévues ne seront pas reprises suite à une grève de plusieurs jours, peut-être semaines. La grève offre cependant autre chose : l’expérience concrète de la négociation et la création d’un raisonnement juridique visant la reconnaissance d’un droit pour les juristes en herbe que certains et certaines d’entre vous êtes, tout comme un terrain d’analyse quasiment parfait pour ces théories de fondement des sciences politiques que certain.es d’entre vous avez appris sur les bancs de l’université.
Loin d’être un moment de perte de savoir, si précieux à nos parcours d’étudiant.es universitaires, la grève étudiante est un laboratoire pédagogique à explorer sous toutes ses coutures, une exploration qui jouit d’une liberté qu’aucun cours de la Faculté ne pourra avoir la prétention d’offrir. Cela dit, si on apprécie l’aspect formateur de la grève, c’est avant tout parce qu’il s’agit de l’aboutissement d’une série d’actions ayant contribué à bâtir une collectivité unie pour la justice sociale, le bien commun et opposée aux inégalités sociales.
Il était une fois, une lutte féministe.
À venir le 14 février !